Le chemin de croix des footballeurs africains face à la Covid 19
Le chiffre fait froid dans le dos. « Entre 3000 et 5000 footballeurs professionnels nous ont sollicités depuis mars 2020. » Mais ils ne représentent que la partie visible d'un immense iceberg, car « il ne s'agit que de joueurs issus des douze organisations syndicales que nous reconnaissons en Afrique. Et nos chiffres ne sont pas définitifs... » Face à un panel de journalistes francophones ce mercredi 28 octobre, Stéphane Burchkalter, secrétaire général adjoint de la FIFPRO et secrétaire général de la FIFPRO Afrique, a dressé un tableau peu reluisant du football professionnel africain en temps de pandémie. « Ces joueurs nous ont saisi pour une aide financière ou juridique, car depuis mars, ils peuvent avoir été victimes d'une rupture unilatérale de leur contrat, ou d'un non-versement de leurs salaires. » Sur le continent africain, certains footballeurs « pros » n'ont même pas de contrat écrit, un état de fait antérieur à la pandémie. La crise de la Covid-19 n'a fait que décupler les problèmes existants sur un territoire où les standards de la FIFA font office d'utopie. « Il y a déjà un problème de respect des footballeurs africains comme simples êtres humains », pointe sans ciller Jonas Baer-Hoffmann, secrétaire général de la FIFPRO. « Pour certains, on parle de difficultés à trouver de quoi payer leur loyer ou simplement de quoi manger. »
Champion du Cameroun en 2015, cordonnier en 2020
Alternant entre un français très honorable et un anglais proche de la perfection, cet Allemand de 32 ans évoque une multitude « de footballeurs professionnels africains qui doivent arrêter leur carrière et trouver un autre métier viable ». Il y a quelques mois, l'émission Talent d'Afrique (Canal Plus International) dressait le portrait de Joël Ndzana, milieu de terrain des Panthères de Bangangté en première division camerounaise, reconverti cordonnier à Yaoundé en raison de l'arrêt toujours effectif du championnat local. Quand cinq ans plus tôt, il remportait le championnat national... La pandémie a fait augmenter le volume de ces reconversions non souhaitées, plus particulièrement en Afrique subsaharienne où « l'absence de contrat pose de facto le problème de la reconnaissance professionnelle » selon Burchkalter. « Le contrat de travail devrait être la base », même s'il est bien difficile de l'imposer dans un contexte « où l'on constate de plus en plus de décisions unilatérales des employeurs face aux joueurs : rupture anticipée, blocage du salaire, voire réduction de salaire forcée... »
Gérémie Njitap : « On perd des joueurs »
On est bien loin de l'image des footballeurs multimillionnaires des plus grands clubs européens, et pour l'ancien international camerounais Gérémie Njitap, la cause est simple : « Il n'y a pas de vrai collaboration entre les entités. Les directives de la FIFA ou de la CAF ne sont pas appliquées partout, les financements eux, ne sont pas toujours utilisés correctement. » Pour le président du SYNAFOC, le syndicat des joueurs camerounais, « les joueurs en Afrique sont très mal entretenus par leur club, qui ne leur permettent pas de vivre de ce métier. Chaque jour au Cameroun des joueurs viennent nous voir pour nous dire qu'ils n'ont pas de quoi manger ou payer leur loyer. Certains ont des responsabilités, cela devient difficile pour eux de pratiquer leur métier. » Celui qui a remporté les Jeux olympiques et deux Coupes d'Afrique des nations avec les Lions indomptables y voit un problème global : « En ne traitant pas bien ses joueurs, l'Afrique du foot se fragilise, car si les joueurs avaient les bonnes conditions pour exercer leur métier, la compétitivité serait plus élevée, et tout le reste suivrait. Là, on perd des joueurs... »
Offrir un environnement sécurisé aux joueurs
La FIFPRO a remporté une bataille au Gabon, en trouvant un accord avec la fédération pour le paiement d'arriérés de salaires pour près de 600 joueurs des deux premières divisions. « Mais ce qu'il s'est passé au Gabon, ce n'est pas une solution viable à long terme, il faut une réforme structurelle globale », estime Jonas Baer-Hoffmann. À défaut de quoi, « les problèmes actuels n'iront qu'en s'aggravant, et n'affecteront pas seulement le continent africain. La situation actuelle encourage la migration des jeunes footballeurs qui veulent tenter leur chance en Europe ou en Asie, où c'est devenu plus accessible récemment. » Mais c'est une situation dangereuse car « beaucoup de ces jeunes joueurs sont baladés d'un endroit à un autre pour des essais de trois mois. Si cela ne marche pas, ils sont perdus pour le football et humainement sont dans une situation très précaire. » Le secrétaire général de la FIFPRO sait qu'il est difficile d'imposer des règles du jour au lendemain, il tente donc sa chance avec une incitation. « Les dirigeants des fédérations africaines doivent comprendre que s'ils veulent développer un football compétitif, conforme à leurs attentes, cela commence par offrir un environnement sécurisé et serein aux joueurs, pour qu'ils développent leur potentiel... » Message reçu ?